Pourquoi faire des compte-rendus de dégustations ?

[Patrick]

Un compte-rendu de dégustation n'est qu'un rendu appauvri de l'expérience. Pourquoi ? Parce que les mots ne joignent pas la réalité, ils n'épuisent pas les sensations ressenties et leur enchevêtrement. Pourquoi continuer alors à rendre compte ? Pourquoi ne pas se contenter de déguster ?


Pour certains, le compte-rendu manquerait forcément son but et même éloignerait de ce qu'est la "vérité" du thé, notion pourtant laissée sans définition. Ce serait un exercice trop intellectuel là où il faudrait "ressentir". Et puis le thé comme les goûts seraient incommunicables.


Au contraire, je crois que le compte-rendu est un exercice de maîtrise de la langue, un exercice de langage par lequel on cherche à partager une expérience.
Et pour cela il faudra aiguiser ses sens : se concentrer sur les sensations du nez, de la bouche, de la gorge, de la langue pour les ressentir le mieux possible. Et la maîtrise du langage ajuste les sens (c'est un renforcement mutuel). Je goûte d'autant mieux le litchi que j'ai le mot litchi pour l'exprimer. Sans ce mot, je goûte quelque chose de sucré, doucereux, fruité. Avec ce mot, je goûte le litchi, je me remémore mieux la sensation et suis plus à même de la ressentir une autre fois. Avec ce mot, je critique mes propres sens (je les dirige, je les aiguise) : litchi ou raisin ? A quel degré de maturité ? Etc.

Le compte-rendu, exercice intellectuel, repose sur l'exercice des sens, il n'y a pas d'opposition corps/esprit, mais complémentarité. Pour moi, ce n'est pas un exercice qui éloigne d'une certaine philosophie du thé (quoique cette expression rencontrée ici ou là veuille bien dire), mais un exercice qui porte à la méditation par le thé puisqu'il oblige à se concentrer sur le thé.

Voila, je laisse ces quelques méditations à votre sagacité

(J'ai fait une version longue ici)

[Sylvain]

Patrick' je suis d'accord avec toi mais le cr peut aussi de manière plus triviale servir de carnet de dégustation ce qui est mon cas, et ce afin de garder des repère dans le temps

[Patrick]

Oui, aussi. Mais là, je m'enflamme, c'est l'insomnie...
Plus sérieusement, ce sont des questions qui me "tracassent" depuis quelques semaines sans que je ne les pose vraiment jusque là.

[Sylvain]

Non non mais ta réflexion générale est complètement pertinente.

[David]

C'est sur que d'écrire est un bon moyen d'y voir plus clair quand quelque chose nous tracasse... C'est ce que je fais en tout cas

Bonne question en tout cas, je vais y réfléchir.

[NbC]

Si d'un côté il existe un thé avec une "vérité" à exprimer. Si de l'autre côté il existe un dégustateur avec ses propres capacités de dégustation olfactives/gustatives, ses capacités de ressenti, ses capacités linguistique. Alors est-il possible que ce dégustateur arrive à retranscrire la "vérité" globale du thé ? Ça ressemble à une équation de Math tout ça

Supposons Patrick que tu arrives à traduire cette équation. Que vas-tu en tirer comme expérience ? Cela va-t-il te permettre d'avancer dans ce que tu traverses ? Il y a parfois des questionnements qui reviennent à notre esprit sans tenir compte de notre volonté. Et cela revient encore..... Et puis cela passe avec le temps (et bien souvent on se rends compte que on a enfin compris au dedans).

[Patrick]

Je ne suis pas sûr qu'il y ait une vérité du thé. Il y a des ressentis et une difficulté à l'exprimer. Ce qui compte c'est moins l'objectif (dire entièrement le ressenti) que le chemin (tenter de le décrire). En m'appliquant à bien décrire, je fais preuve d'attention, je suis pleinement dans le moment de la dégustation. Je suis pleinement présent.

Et c'est cette pleine présence qui peut me faire aller vers la méditation.

Cette réflexion me vient notamment d'une lecture d'un paragraphe de François Cheng (entretiens avec F.Siri dans A voix nue):

FC [...]Dans ce macaron, comme dans d'autres, il y a une telle combinaison subtile et complexe, que, pour le déguster, on se doit de se mettre dans un état de concentration, voire de recueillement.

F.Siri : Comme dans les méditations !

F.C. : Je vais essayer de décrire un tout petit peu cela. Quand on mange un macaron de Pierre Hermé, toutes les facultés sensorielles sont sollicitées. D'abord, cette teinte de pastel si invitante, cette rondeur si conforme à la bouche... Une fois entre les dents, cette sensation tactile du croquant qui se fond dans le moelleux. Puis se répandent dans la bouche une succession de saveurs et de fragrances qui s'entraînent les unes les autres, se répondent les unes les autres, s'interpénètrent en un tout à la fois caressant et vivace, sans que jamais le sucré ne vienne le gâter.

Il parle très bien du macaron parce qu'il a une très grande attention au monde et aux autres (et il maitrise parfaitement le langage)

D'ailleurs, je ne mange plus de macarons, je vis des expériences métaphysiques grâce à ce médium

[NbC]

Je ne suis pas sûr qu'il y ait une vérité du thé. Il y a des ressentis et une difficulté à l'exprimer. Ce qui compte c'est moins l'objectif (dire entièrement le ressenti) que le chemin (tenter de le décrire). En m'appliquant à bien décrire, je fais preuve d'attention, je suis pleinement dans le moment de la dégustation. Je suis pleinement présent.

Et c'est cette pleine présence qui peut me faire aller vers la méditation.

Nous partageons la même vision des choses.

[Tsubo]

Je ne suis pas sûr qu'il y ait une vérité du thé.

et tu peux encore rajouter un niveau supplémentaire de questionnement ...

[Patrick]

Sans doute, mais je préfère rester au thé avant le jugement sur le thé. Il s'agit simplement de dire ce que l'on en ressent.

Et pourtant, ceux qui disent ne pas porter de jugement de valeur sur le thé, pourquoi ne boivent ils pas du Lipton ?
" C'est la meme plante" .... mais ca n'est pas le meme travail, ce n'est pas le meme respect aux hommes et aux plantes.

[Tsubo]

moins de changement de ressenti entre deux sachets peut être et la poussière de thé est-elle encore du thé ? Sans parler des additifs ...

[Étienne]

J'utilise les compte-rendus pour deux aspects principaux :

- La communication. Comment échanger sur un thé avec quelqu'un qui ne l'a pas bu ? Je lui aurais bien filé une tasse, mais à distance ou autre... Là on est bien dans la description privée de l'expérience, comme tu le décris, à défaut de mieux.

- La critique. Je me force aussi à faire des CR, pour comprendre, construire et évoluer, parce que le «j'aime, j'aime pas» m'intéresse en fait peu. Pour savoir si je veux poursuivre vers un type de thé, si je veux abandonner une façon de faire, chercher un type de goût etc. Et pour tout ça, je veux savoir «pourquoi ? Comment ?».
Dans ce cas là, il s'agit d'une construction intellectuelle qui enrichit mon expérience pour préparer les suivantes. (Exactement comme quand j'ai vu une oeuvre qui me marque, je vais lire des choses dessus, puis je retourne la voir avec le cerveau préparé).

Je pense que ça rejoins beaucoup de ce que tu dis Patrick. Je fonctionne vraiment sur ces deux modes : l'expérience appauvrie à défaut de mieux et l'enrichissement de l'expérience par une construction intellectuelle.

[Théokineko]

Je pense que la question dépend aussi de la personne. un buveur lambda, un blogueur influent ou un vendeur de thé ne visent pas la même finalité. Après j'ai le sentiment que pour ces derniers s'ils ne faisait que de nous vendre du rêves ils n'auraient pas fait long feu.

[Fabien]

Pourquoi faire des compte-rendus de dégustations?

... ben c'est à dire que si on attend des photos de Yoann, c'est mort. Donc faut bien meubler un peu sur le forum. Et pour meubler, les CR c'est pas mal

[Bruno]

Pourquoi faire des compte-rendus de dégustation? Je n'ai pas trouvé d'illustration pour le thé. Mais c'est comme pour le vin.

On peut déguster ça:

Ou ça:

Les deux formes d'appréciation ne sont d'ailleurs pas incompatibles