Ces thés qui vous ont marqués

[Leaf]

La récente discussion lancée par Patrick sur la présence amicale des objets de thé me refait penser à un sujet que je veux aborder avec vous depuis plusieurs mois déjà.

Car les ustensiles qui nous accompagnent ne sont qu'une partie de la dégustation -- une partie importante même, mais non-essentielle puisqu'on peut parfaitement réussir son moment de thé avec un ensemble de porcelaine à 3 euros.

En revanche il est bien difficile de se passer des feuilles !

Du coup j'ai envie de vous entendre parler de vos moments de thé préféré -- de ces thés qui les ont rendus particuliers, de ces feuilles qui ont marqué votre chemin, de celles qui ont disparu et aussi celles auxquelles vous revenez régulièrement. Parlez-moi des thés qui ont déclenché votre passion, de ceux qui l'ont entretenue, de ceux qui se sont imposés d'eux-même dans votre quotidien et de ceux que vous ne ressortez que rarement parce que chaque dégustation est une fête.

Bref, parlez-moi de vos thés et des rituels, des moments et émotions qui y sont associées !

[Leaf]

En 2008, j'étais de passage en France pour la première fois quand, vers la fin du voyage, je me suis retrouvé à Lille avec des amis que je rencontrais face à face pour la première fois. L'une d'entre eux était végétarienne, ça compliquait le choix du resto, donc on s'est finalement posés dans un petit machin qui ne payait pas de mine mais qui servait les salades les plus copieuses que j'ai vu de ma vie.

Après avoir mangé, nous nous sommes dit que ça serait dommage de s'arrêter là, mais comme plus personne n'avait faim... Et puis quelqu'un dans le groupe a suggéré qu'on demande la carte des thés, et là surprise ! Que de choix ! Moi qui était habitué à la sélection québécoise (thé rouge en sachet, et s'il y a du choix, parfois earl grey et/ou thé vert au jasmin), j'ai été assez étonné de voir une carte ma foi plutôt bien fournie.

Sur un coup de tête, après avoir hésité entre un Ceylan et un Lapsang Souchong, je choisis le Lapsang... Et là, révélation. La première gorgée me renvoie une pléthore de sensations, d'images et d'émotions en vrac, un effet que je n'avais vécu jusque là qu'avec de la musique. Du bleu et du noir, du gris et du brun foncé, l'image d'un lac de nuit sur lequel se reflète la lune, les saveurs chaleureuses d'un feu de bois dans le foyer d'un chalet rustique. Le calme étouffant d'une tempête de neige et la liberté d'une journée de grand vent.

Ça y est, j'étais happé.

Six mois plus tard, après quelques bouleversements personnels et une réorientation majeure (je venais d'obtenir un diplôme d'arts et lettres, mais plutôt que de continuer en littérature à l'université, j'ai décidé de partir à Québec étudier la lutherie... ), je me fais une théière de Lapsang Souchong qui est à ce moment mon thé "de soirée" quotidien, puis j'ouvre un document texte et j'y jette en l'espace d'une soirée les premiers 500 mots d'une histoire qui est devenue par la suite l'un des piliers les plus importants de ma "voie des mots" -- pour plusieurs raisons, mais celle qui nous concerne ici, c'est qu'il s'agit de l'histoire qui a la première inauguré mon rituel d'écriture actuel : un thé, de la musique, et ma page blanche à noircir.

Et à cause de ce rituel, à cause de cette histoire, les saveurs fumées du Lapsang Souchong seront pour moi éternellement liées aux couleurs et émotions de la pièce "The Healing" par James Newton Howard et à ce texte qui portait le nom de "Papillon".

[derz]

Comme je l'ai déjà dit quelque part sur ce forum, je garde un souvenir ému de deux thés qui m'ont fait basculer sans espoir de retour vers vous-savez-quoi, tous deux achetés à l'English shop de Rouen vers le milieu des années 2000:
- un Darjeeling FF dont je n'ai plus la référence, je me souviens juste que je l'avais infusé pas très chaud et qu'il en était ressorti un feu d'artifice de fruits et de fleurs.
- le Tie Guan Yin 1° grade de Terre de Chine, que je continue à acheter tous les ans en souvenir de cet effet "Ah, oui, ça peut être ça, le thé, à creuser"...
Aucun de ces deux thés n'est une référence rare des années 40 à 10€/g mais ils m'ont ouvert un monde et gardent à ce titre une place particulière dans mon panthéon personnel.

[Leaf]

Aucun de ces deux thés n'est une référence rare des années 40 à 10€/g mais ils m'ont ouvert un monde et gardent à ce titre une place particulière dans mon panthéon personnel.

Comme tu as pu lire au-dessus, le premier thé dont j'ai parlé c'est un tout bête parfumé qu'on trouve partout Pas de honte à avoir donc, tes références sont parfaitement honnêtes et même excellentes comparé à la mienne.

(Sinon, à noter quand même que j'ai fini par remplacer ledit Lapsang Souchong par un Zheng Shan Xiao Zhong de plus belle facture pour pas beaucoup plus cher, pour le goût d'abord, pour la santé de mon estomac ensuite. Je viens de m'en récupérer 50 gr. à l'instant d'ailleurs... )

[Marcelline]

Si je ferme les yeux et que je laisse mon esprit me rappeler un thé qui m'a marqué, on arrive inévitablement un peu avant les années 2000 à Clermont-Ferrand où je finissais une licence.
Buveuse de thés parfumés en théière bodum ou fonte japonaise, je ne jurais que par Mariage Frère et le oolong à la fleur d'oranger.
Au détour d'une ruelle, je tombe nez à nez avec une boutique avec des petites théières en vitrine et des grandes boites dedans.
Ni une, ni deux, je pousse la porte. Le vendeur était tranquillement assis devant une table en bois avec un bateau à thé, une petite yixing et une bouilloire.
Je devais avoir l'air intriguée parce qu'il m'a proposé de me joindre à lui et m'a expliqué qu'il pratiquait le Gong Fu Cha. Mon côté fillette était subjugué par la dinette.
Il me sert une tasse d'un oolong qu'il appelle Dong Ding, m'explique la tasse à sentir et la tasse à goûter. Je m'exécute et là....
Grosse claque.
Bon dieu que c'est bon ! (pardon, je jure mais j'en ai encore la sensation dans tout mon corps).
C'était un vrai coup de foudre gustatif.

Je suis sortie de là en ayant l'impression de pénétrer un nouvel univers (sans en connaître encore toutes les ramifications qui mène d'ailleurs jusqu'ici presque 16 ans après) et convaincue que je ne pourrais plus me passer de ce Dong Ding et du Tie Guan Yin qu'il m'avait vendu.

[Lk18]

Bonjour Leaf,

merci beaucoup pour ce sujet très captivant. Je dois dire que ton échantillon de oolong hualien 1987 reste un de mes plus grands moments de thé ! Merci ! La sensation me revient en tête à chaque fois que je me remémore ce souvenir. Sinon, la découverte du puerh reste pour moi un très grand moment aussi : "quoi ? du thé en galette ? Il faut infuser des morceaux ? Qu'est-ce que c'est que ce truc ?". Ca m'a ouvert la porte à tout un univers que je ne connaissais pas.

[Leaf]

Superbe tranche de vie Marcelline... Avec tes descriptions, j'arrive parfaitement à voir la scène et à imaginer l'effet que ce thé a dû te faire. Mon premier wulong était un Dong Ding aussi, ça aide peut-être la visualisation

Sinon Lk18, tu es tombé pile sur l'une des références dont j'avais envie de parler ici ! Ça me fait plaisir du coup si ce thé t'a marqué, et si tu en as parlé sur le forum pendant mon absence de cet été, j'ai hâte de remonter le fil des CRs pour tomber dessus.

[roku]

Superbe tranche de vie Marcelline... Avec tes descriptions, j'arrive parfaitement à voir la scène...

Moi j'ai un peu de mal à imaginer une boutique de thé à Clermont-Ferrand où l'on pratique le Gong Fu Cha pour boire du Wulong dans des petites théières Yixing

Très belle évocation Marcelline

[Patrick]

C'est comme le film de Woody Allen dans lequel les personnages sont projetés dans différentes époques de Paris : il faut une conjonction particulière : qu'il soit minuit, que la lune soit pleine, l'humeur joyeuse et que vous acceptiez l'invitation à monter à bord d'une voiture ancienne et magique.

C'est un beau rêve qui n'est pas offert à tout le monde

[Oranda]

Mon premier pu erh m'a marquée parce que j'ai réalisé tout de suite que je snobais ces thés pour de mauvaises raisons.
Mais à part cette révélation qui a tout bouleversé, j'ai toujours tendance à penser que mon prochain thé est celui qui me marquera sans doute le plus.

[Lectu]

Si je ferme les yeux et que je laisse mon esprit me rappeler un thé qui m'a marqué, on arrive inévitablement un peu avant les années 2000 à Clermont-Ferrand où je finissais une licence.
Au détour d'une ruelle, je tombe nez à nez avec une boutique avec des petites théières en vitrine et des grandes boites dedans.

Si c'est là jolie boutique rue du cheval blanc, elle existe toujours, la vitrine est toujours remplie de petites théières, de quelques théières en fonte, de deux gaiwan et de set tasses/théières. Le mur de boîtes est toujours là. A l'intérieur il y a le coin japonais, le coin chinois et le coin plus occidental. Une grosse cartes de thés. Mais quoi que tu commandes la bonne femme derrière le bar te le sert en grande théière blanche, feuilles de thé dans sachet à thé et plongé dans la théière même si tu le demandes à côté. De base elle te prend de haut et se la joue "je sais comment on fait, toi tu sais rien". Pas moyen de discuter avec elle, tu lui poses une colle si tu lui parles darjeeling de printemps....
La boutique à un potentiel de dingue, c'est là que j'y ai acheté mon premier gaiwan et c'est là que j'y ai bu les pires thés de ma vie.
Si c'est bien cette boutique, j'espère que je n'ai que joué de malchance et que parfois y a un monsieur passionné derrière le comptoir. ..

[Kissaki]

et c'est là que j'y ai bu les pires thés de ma vie.

Tu oublies un peu vite lorsque, pour ma première tentative de maîtrise du gaiwan j'ai mis la moitié des feuilles dans nos tasses respectives